Le Canada face à Trump : un sursaut patriotique contre l’idée du « 51ᵉ État »
La provocation n’a laissé personne indifférent. En affirmant, cette semaine, qu’il était « tout à fait sérieux » à l’idée de faire du Canada le 51ᵉ État des États-Unis, Donald Trump a ignoré l’onde de choc produite au nord de la frontière. À la veille des élections législatives anticipées, Ottawa, Montréal et de nombreuses villes canadiennes vibrent d’un nouvel élan patriotique, renforçant la défiance historique envers le puissant voisin américain.
« Ce n’est pas une plaisanterie » : Trump persiste et signe
Interviewé mardi par le magazine Time, Donald Trump, réélu à la présidence en novembre dernier, a balayé tout doute : son idée d’intégrer le Canada aux États-Unis n’a rien d’une boutade. Selon lui, Washington « dépense inutilement plus de 200 milliards de dollars par an » pour « prendre soin » de son voisin. « Nous n’avons besoin ni de leur bois, ni de leurs voitures, ni de leur énergie », a asséné le président américain, tout en révélant avoir interrogé, sans succès, le Premier ministre canadien Justin Trudeau sur ces prétendues pertes financières.
À Ottawa, la réplique ne s’est pas fait attendre. Face aux menaces d’annexion et à la guerre commerciale lancée par Washington — droits de douane sur l’acier, l’automobile, et désormais sur le bois d’œuvre —, les Canadiens se mobilisent comme rarement dans leur histoire contemporaine.
Une nation en quête d’affirmation
« Nous ne serons jamais le 51ᵉ État américain », proclame, drapeau à la main, Louise, manifestante de 62 ans, devant l’ambassade américaine à Ottawa. À ses côtés, une trentaine de citoyens brandissent fièrement l’unifolié rouge et blanc, scandant des slogans de défi.
« Donald Trump a réveillé un sentiment profond : notre souveraineté n’est pas à vendre », analyse Daniel Béland, directeur de l’Institut d’études canadiennes à l’Université McGill. Selon lui, ce sursaut patriotique puise ses racines dans l’histoire même du Canada, fondé en 1867 en partie pour se prémunir contre les ambitions expansionnistes des États-Unis.
La fierté nationale, d’ordinaire discrète hors des événements sportifs, est aujourd’hui omniprésente. Selon un sondage relayé par CBC, 67 % des Canadiens se disaient fiers de leur nationalité en février, contre 58 % en décembre dernier. Au Québec, où la question identitaire est particulièrement sensible, la hausse atteint 13 points.
Boycotts, initiatives locales : la résistance s’organise
La riposte ne se limite pas aux manifestations. Partout, des initiatives citoyennes fleurissent pour encourager la consommation locale. À Ottawa, le café Morning Owl a rebaptisé son célèbre « americano » en « canadiano » — un geste à la fois symbolique et commercial.
À Montréal, deux jeunes entrepreneurs, Christopher Dip et Alexandre Hamila, ont lancé BuyBeaver, une application permettant de scanner les produits alimentaires pour privilégier les fabrications 100 % canadiennes. « Nous ne sommes pas antiaméricains, nous sommes procanadiens », résume Christopher Dip.
Dans les grandes surfaces, les rayons d’alcools américains se vident, les provinces ayant suspendu leur commercialisation en signe de protestation. « Acheter local, c’est devenu un acte patriotique », témoigne Diane, rencontrée dans un supermarché d’Ottawa.
Une fracture durable avec les États-Unis ?
Si la colère est palpable, certains observateurs s’interrogent sur sa durée. « Le sentiment d’unité est souvent éphémère, surtout dans une fédération aussi diverse que le Canada », tempère Daniel Béland. Pourtant, pour beaucoup de Canadiens, une ligne rouge a été franchie.
« Ils ont élu Trump deux fois. Rien ne garantit qu’ils ne recommenceront pas », s’indigne Louise, la manifestante d’Ottawa. À ses yeux, la méfiance envers les États-Unis est désormais gravée dans la conscience collective.
Tous, cependant, ne partagent pas ce radicalisme. À Ottawa, dans sa pizzeria au style new-yorkais, Justin Laferriere refuse de boycotter ses fournisseurs américains. « Ce n’est pas la faute du peuple américain, mais de son gouvernement », estime-t-il, sans cacher son désarroi.
Alors que le Canada s’apprête à voter lundi, l’ombre de Trump plane sur une campagne tendue. Au-delà des enjeux économiques immédiats, c’est une certaine idée de l’identité canadienne qui se joue : celle d’un peuple qui, contre vents et marées, entend rester maître de son destin.